12 % des maladies chroniques ne connaissent pas de véritable rémission. Ce chiffre brutal rappelle, sans détour, que la médecine n’a pas toujours le dernier mot. Face à certaines affections, la guérison entière relève parfois de l’illusion, malgré les prouesses de la science.
Dans ces situations, le soin change de visage. Plutôt que de promettre l’impossible, les équipes médicales s’attachent à améliorer chaque journée, à alléger la souffrance, à maintenir ce qui peut l’être de la dignité et de l’autonomie. Les traitements s’adaptent, les priorités se redessinent : il ne s’agit plus de faire disparaître la maladie, mais d’accompagner le patient dans sa réalité, avec tout ce que cela implique d’écoute, d’inventivité et parfois de courage partagé.
Quand guérir n’est plus possible : comprendre la différence entre soigner et guérir
Dans l’esprit collectif, la frontière entre soigner et guérir demeure souvent floue. Pourtant, l’écart se creuse dès que la promesse d’une guérison totale s’éloigne. L’Organisation mondiale de la santé insiste sur ce point : les soins palliatifs relèvent d’un droit fondamental. Leur mission ? « Améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille confrontés à une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance. »
Concrètement, le traitement palliatif suit généralement deux axes :
- Ralentir la progression de la maladie : pour certains diagnostics, il s’agit de freiner la course des symptômes.
- Soulager les symptômes physiques : ici, la priorité est d’atténuer la douleur, l’inconfort ou la gêne au quotidien.
Le cancer en est un exemple frappant : cette maladie, dont l’évolution reste parfois imprévisible, conduit de nombreux patients à une phase palliative où l’enjeu n’est plus la disparition complète de la maladie. Claude Grange, médecin, et Élise Perceau-Chambard, enseignante, rappellent que seule une prise en charge globale peut répondre à ces défis.
Les soins palliatifs ne se limitent pas aux toutes dernières semaines de vie. Ils s’inscrivent dans une démarche de fond, qui donne la priorité à la qualité de vie, à l’écoute active, à l’adaptation constante des traitements, mais aussi à la présence auprès des proches. La maxime d’Hippocrate, « Primum non nocere », garde ici toute sa pertinence. Danielle Moyse pose la question : comment exercer le soin lorsque la guérison ne fait plus partie des options ? Les réponses émergent, au fil du quotidien, dans chaque geste, chaque mot, ajustés à la singularité du patient et à l’évolution de sa maladie.
Quels sont les enjeux médicaux et humains face à une maladie incurable ?
Dès lors que la guérison s’efface du paysage, la médecine revoit son rôle : il s’agit désormais de préserver la qualité de vie jusqu’au bout. Les soins palliatifs reposent sur le travail d’une équipe pluridisciplinaire, où médecins, infirmiers, psychologues, assistants sociaux ou aumôniers conjuguent leurs compétences. Chacun intervient selon ses spécialités, toujours guidé par le souci d’apporter une réponse à la fois physique, psychique et sociale. Les proches du patient bénéficient aussi de cette attention, souvent eux-mêmes éprouvés par la situation.
À ce stade, le patient cesse d’être un simple « cas » médical. Il redevient une personne, avec ses doutes, ses peurs, ses espoirs ténus. Levinas parlait de la responsabilité envers l’autre, Ricœur évoquait la dignité et le besoin de reconnaissance. Tous deux inspirent la relation entre soignant et soigné, nourrie par la volonté de répondre à la souffrance, à la solitude, ou parfois à la révolte qui surgit face à la maladie. L’équipe veille à anticiper la douleur, à réduire les symptômes, à offrir des espaces d’expression. Pour les plus jeunes, un accompagnement psychologique adapté complète ce dispositif, afin de rendre la maladie un peu moins inintelligible.
Malgré la présence d’unités dédiées et de réseaux en France, le secteur doit faire face à des ressources humaines et matérielles qui peinent à suivre la demande. La pression monte, le burn-out progresse chez les soignants, confrontés chaque jour à la détresse et à l’absence de miracle. Marie, infirmière, raconte combien la charge émotionnelle peut devenir lourde. La formation des professionnels donne aujourd’hui davantage de place à ce type de prise en charge, mais la réalité du terrain reste rude. Prendre soin, écouter, s’adapter : là se joue l’efficacité du soin quand l’idée de guérison n’est plus d’actualité.
Accompagner le patient : ressources et approches pour un mieux-être au quotidien
Lorsque le mot « guérison » devient lointain, toute la dynamique du soin se transforme. On ne se limite plus à la seule dimension médicale. Le quotidien du patient s’enrichit d’une série de ressources, chacune visant à offrir un peu plus de confort, de sérénité, de stabilité. Une brochure d’information remise aux patients et à leurs familles vient souvent éclairer les démarches, expliquer les droits, orienter vers les dispositifs disponibles.
Voici quelques-unes des ressources mobilisées pour alléger le vécu du patient et de son entourage :
- Le soutien social s’adresse autant au malade qu’à ses proches. Les assistantes sociales, par exemple, accompagnent les démarches administratives ou l’accès à des aides financières, soulageant un quotidien déjà éprouvé.
- Dans certains établissements, des groupes de parole animés par des psychologues permettent à tous d’exprimer leurs inquiétudes ou de partager leur expérience, sans jugement.
- La spiritualité, sous toutes ses formes, trouve aussi sa place : prêtres, aumôniers ou référents laïcs interviennent, toujours dans le respect du rythme et des convictions de chacun.
- Les médecines complémentaires comme la naturopathie, l’hypnose, la méditation ou la réflexologie peuvent aider à mieux gérer la douleur, l’anxiété ou l’insomnie. Ces approches ne remplacent pas la médecine conventionnelle, mais la complètent, toujours sous le regard attentif de l’équipe soignante.
Certains cherchent à renouer avec un sentiment d’autonomie. Pour cela, la PNL ou le coaching apportent des outils d’adaptation et de réflexion sur le sens donné à son parcours. Pierre, par exemple, raconte avoir trouvé un équilibre grâce à une alliance entre soutien familial, suivi professionnel et accompagnement spirituel. Dans chaque démarche, le consentement du patient reste une priorité, qu’il s’agisse d’envisager une sédation palliative ou toute autre décision engageante.
Le soutien psychologique et émotionnel, une dimension essentielle du soin
Quand l’horizon de la guérison se ferme, la souffrance psychique prend une place inattendue, parfois massive. Les soignants découvrent alors des blessures émotionnelles creusées par l’annonce du diagnostic, le deuil de la vie d’avant, ou la perspective de la fin de vie. La psychologie clinique s’impose ici comme un pilier du soin. Son rôle : apaiser, accompagner, soutenir, permettre au patient et à ses proches d’exprimer ce qui, sinon, resterait enfoui.
L’équipe pluridisciplinaire fait une large place au psychologue. Celui-ci intervient auprès du malade comme de ses proches, chacun affrontant à sa façon la tempête. La parole circule, lors d’entretiens individuels ou en groupe, ouvrant la voie à l’expression des peurs, des colères, de l’abattement. Adultes, adolescents, enfants bénéficient d’un accompagnement sur mesure, respectueux du rythme de chacun.
Voici deux axes majeurs de ce soutien psychologique :
- Soulagement des blessures émotionnelles : un travail d’écoute, de verbalisation, d’ajustement des représentations, qui aide à apprivoiser la réalité.
- Psycho-neuro-immunologie : la recherche explore les interactions entre pensées, émotions et système immunitaire, mettant en lumière l’influence du psychisme sur les symptômes et sur la qualité de vie globale.
La phase palliative ne se résume donc pas à la gestion de la douleur physique. Les troubles psychologiques, anxiété, tristesse, insomnie, exigent la même rigueur. L’expérience suggère que le soulagement émotionnel peut parfois alléger la souffrance corporelle, et même, dans certains cas, favoriser des épisodes de rémission spontanée observée dans quelques cancers. Ici, la parole, l’écoute et la présence demeurent des outils thérapeutiques à part entière.
Soigner efficacement, là où la guérison s’évanouit, c’est refuser la résignation. C’est inventer, chaque jour, un chemin qui donne du sens, du confort, et parfois, malgré tout, une forme d’espérance à ceux qui luttent.


